La maison forte de Blay : une restauration exemplaire
Les vestiges du « château » d’Esserts-Blay se dressent sur les flancs de la grande Lanche. Adroitement érigé sur un replat rocheux en surplomb de l’Isère, il relayait le contrôle de la vallée, entre le château de Chantemerle à La Bâthie et celui de Feissons-sur-Isère. Nichée dans un écrin de verdure, cette remarquable bâtisse est devenue récemment la salle d’animation du village.
Construite vers l’an 1400, la maison forte de Blay, improprement nommée « château », s’inscrivait parfaitement dans l’époque charnière de l’aube du XVe siècle : en effet, le Moyen Age guerrier s’effaçant peu à peu, une nouvelle société féodale voyait le jour. Cette évolution, favorisée par un commerce florissant, des progrès techniques fulgurants, et une large diffusion des idées grâce à l’imprimerie, suscitera de nouvelles manières de vivre et d’appréhender l’architecture.
L’on passera du « tout défensif » au confort relatif. Les Seigneurs de Blay, qui s’étaient naturellement dotés d’une maison bien protégée, tant au niveau de la bâtisse elle-même que de l’armement dont ils disposaient, résidaient néanmoins dans un cadre de vie digne d’une grosse maison bourgeoise.
Hélas, quelque deux siècles après sa construction, un violent incendie détruira la maison forte vers 1609.
Abandonnée, ses murs s’effriteront inexorablement jusqu’en 1992, date à laquelle l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine d’Esserts-Blay décide de sauvegarder les ruines. Les consolidations indispensables seront achevées en 2000.
Le bâti était sauvé, certes, mais cela ne lui rendait pas la vie.
Il faudra attendre 2002 pour que le Conseil municipal, sous l’impulsion de son maire, James Denche, vote la création de la nouvelle salle d’animation du village dans la maison forte. Celle-ci sera inaugurée en mai 2008.
Guy Desgrandchamps, architecte haut savoyard en charge du projet de réhabilitation, a appréhendé en connaisseur ce travail sur une structure préexistante en ruine, non protégée au titre des Monuments historiques mais néanmoins source de choix délicats : que faut-il réhabiliter, restaurer, modifier ou conserver ? Le programme du projet dictait assez naturellement de conserver l’affectation initiales des différents espaces : la salle d’animation dans la Aula (nom des salles d’apparat des châteaux médiévaux), l’office - bar dans les anciennes cuisines et l’espace accueil- sanitaires à l’emplacement de l’ancien hall.
Mais cette philosophie générale ainsi que le parti pris de reconstruire dans le volume des murs, sans surélévation, n’excluaient pas la modernité : à l’instar du hall d’entrée vitré conçu dans la partie en redent de la bâtisse, du balcon jaillissant perpendiculairement à la façade ou de l’utilisation de plancher collaborant bois-béton entre le toit terrasse et la grande salle.
Enfin, en forme de clin d’œil à l’histoire, Guy Desgrandchamps proposa une tour en bois à l’emplacement d’une tour disparue (ou qui ne fut jamais construite ?) permettant de rejoindre le toit terrasse par un escalier hélicoïdal en mélèze. Un escalier jumeau fut logé dans les vestiges d’une autre tour, à l’opposé du bâtiment.
Guy Desgrandchanps parle de son travail comme d’un « lent apprivoisement, une stratégie empirique et inconfortable de bricolage savant ». Dans ce type d’intervention il faut, dit-il, se fixer une ligne de conduite car ce bâtiment, aux murs périphériques préservés, livre sa vie et ses multiples transformations à notre regard et il faut absolument tenir compte de l’intrusion de notre travail dans cette évolution. Il y a un vrai projet architectural, bien plus fort que si nous étions dans du « neuf », car les contraintes sont beaucoup plus importantes.
La diversité des manifestations proposées dans la salle de la Aula depuis son inauguration prouve, s’il en était besoin, que la réhabilitation d’une ruine en espace contemporain, convivial et fonctionnel, est parfaitement réalisable.